Ce petit village pittoresque du Gers, d’environ 350 habitants, est situé sur un plateau élevé, à la ligne de partage des eaux entre la Garonne et l’Adour. Plus prosaïquement, on le trouve après avoir emprunté pendant 12 km, une charmante route départementale après Vic-Fezensac qui serpente sur les crêtes.
La chaîne de crêtes qui entoure Lupiac est restée célèbre à travers la légende de St Frix, ce héros chrétien du VIIIe siècle venu offrir ses bras à Charles Martel pour combattre les Maures. Il aurait, paraît-il, à la tête des Francs, rencontré les hordes Maures sur ses hauteurs, car elles campaient aux abords de l’actuel village dans un lieu dénommé « castelmaure », ou se situera par la suite le château de Castelmore.
L’attaque aurait obligé les Francs à se replier sur Bassoues où St Frix mourut, atteint par une flèche, et où une basilique a été érigée en sa mémoire.
L’existence de Lupiac remonte, de source sûre, au XIe siècle et c’est probablement un des plus anciens castelnaux de la Gascogne.
Castelnau
Au XIe siècle, de nombreuses villes neuves furent construites et rapidement peuplées. Les seigneurs ou les abbés fondateurs y attiraient des habitants en leur offrant des terres, une protection efficace, et surtout des immunités et des libertés précieuses.
Dans le voisinage immédiat de certains châteaux féodaux, dans le rayon de sauvegarde de leurs fortes murailles, des bourgs furent édifiés : on les appelle généralement châteaux-neufs, en gascon castelnau.
(Louis Puech)
Ce lieu aurait alors été édifié et fortifié par Oton 1er, vicomte de Lomagne, en 1090. La fortification comprenait un château aujourd’hui disparu, mais qui occupait vraisemblablement l’emplacement de la place centrale actuelle, et une vaste enceinte de forme ovale dont il subsiste encore quelques traces.
Odon 1er ayant ainsi mis Lupiac à l’abri des attaques, son fils Odon II, et son petit-fils Arnaud, s’empressèrent de confirmer les concessions faîtes aux bourgeois de cette cité et les premières coutumes datent de 1134.
Coutumes
Il s’agit d’un ensemble de lois qui régissent les relations entre les seigneurs et les habitants et qui étaient destinées à assurer les droits et les privilèges des citoyens.
L’existence de libertés importantes est très ancienne en effet dans les divers Etats que comprenaient la Gascogne féodale. De très bonne heure, dans le Sud-Ouest, des contrats ou coutumes, limitèrent, en les précisant, les droits des suzerains et maîtres; des actes écrits définirent, pour les hommes des diverses classes, des droits civils et même des droits politiques relativement larges.
(Louis Puech)
Bien qu’aucun document ne permette de connaître l’activité de Lupiac durant cette période, la découverte - récente - d’un trésor de fausses monnaies du XIIe sur le site même de Lupiac amène à penser qu’il existait alors des échanges importants. En effet, l’intérêt d’un faussaire était de frapper des monnaies en circulation qu’il pouvait facilement écouler. Il se trouvait donc, dans ce trésor, des deniers du Comté de Béarn, logique découverte en rapport au territoire. Mais le plus extraordinaire, est la découverte - majoritaire - de deniers de Melgueil, qui était la monnaie officielle de Montpellier et dont la zone d’utilisation se situait dans le Languedoc, ainsi que de deniers de Suse - en moindre quantité - provenant du Comté de Savoie, géographiquement fort éloigné de Lupiac.
Que peut-on en conclure ?
Que le trésor de Lupiac est important du fait de l’originalité de sa composition, comme le souligne Jacques Lapart, dans un article du Bulletin de la Société Archéologique du Gers de 1986.
Certes, mais au-delà de ce constat, cette découverte interroge sur les raisons de cette originalité. Quelle était alors l’importance de Lupiac pour que des monnaies, vraies ou fausses, issues de territoires aussi éloignés transitent dans cette cité ?
Les temps troublés qui suivirent, ceux de la guerre de Cent ans, semblent avoir effacé les mémoires et les traces de cette époque.
Au début du XIVe siècle, on sait que Lupiac était une place de guerre importante, grâce notamment à son enceinte, ses fossés, ainsi que des portes armées de herses et deux tours crénelées.
En 1850, Monsieur Gavoty en fait la description suivante :
Plusieurs habitants se rappellent avoir vu dans leur enfance les fossés de huit mètres de large, à peu près comblés aujourd’hui, qui défendaient les remparts de tous côtés. Ces remparts d’environ 5 mètres de hauteur formaient un mur d’enceinte continu de 465 mètres de pourtour. La distance d’une porte à l’autre, toutes deux placées sur le même axe, l’une à l’est et l’autre à l’ouest, était de 173 mètres, et celle du mur du nord à celui du midi de 89 mètres ; le tout présentant une surface inférieure de 13.794 mètres carrés.
L’une de ces portes, celle de l’est, nommée de Fezensac, était adossée à la maison de M. Mora ; l’autre, nommée Porte d’Armagnac, à l’ouest, adossée à la maison de dame Pomé. Ces deux portes armées de leurs herses.
Une grande tour carrée, bâtie en pierre de taille, couverte de tuile, appelée la Tour d’Artagnan, s’élevait au centre de la ville sur la place actuelle.
Une prison, sans aucun jour au dehors, occupait tout le rez-de-chaussée. On y entrait par une porte basse et étroite située au nord. La voûte au-dessus était percée sur le milieu par un regard fermé au moyen d’un gril en fer et propre à surveiller les prisonniers.
(…) Au sud-ouest, une tourelle crénelée flanquait le rempart à 60 mètres de la tour d’Armagnac ; elle était aussi construite en pierre ; sa circonférence extérieure était de 15 mètres et sa hauteur de 20. Elle renfermait un escalier, dit à limaçon, qui conduisait aux deux étages au-dessus du rez-de-chaussée, ayant chacun un plancher en bois ;
La tour d’Artagnan fut démolie en 1793 ; la tourelle quelques années plus tard.
Au XVe siècle la baronnie de Lupiac passe dans les possessions de Jean V, Comte d’Armagnac.
La maison d'Armagnac
La Maison d'Armagnac dont les origines, au Xe siècle, sont des plus modestes, avait, pendant le Moyen-Age, par achats, par mariages, par héritages par des spoliations même, considérablement accru ses domaines. Ils se trouvaient constitués, au XVe siècle, par deux noyaux, un en Gascogne, l’autre en Rouergue, que rattachaient de nombreux postes intermédiaires (…)
Au XVe siècle, les Comtes d’Armagnac étaient à la tête d’un Etat important et dont l’organisation administrative ne le cédait en rien à celle de nul autre grand fief de l’époque.
(Louis Puech)
Jean V est alors un des chefs de l’armée de Charles VII, mais il s’attire la colère de ce dernier par une vie scandaleuse et des velléités d’indépendance. Charles VII le châtie et le comté d’Armagnac, dont fait partie Lupiac, lui est confisqué au profit de la couronne.
Lorsque Louis XI devient roi, il amnistie Jean V et lui rend ses comtés, mais ce dernier est incorrigible et se montre particulièrement ingrat en entrant dans la Ligue du Bien Public. La colère de Louis XI est terrible. Il met l’Armagnac sous séquestre et envoie une armée royale sur Lectoure. La rébellion de Jean V se termine dans un bain de sang et il y trouve la mort.
Louis XI est alors maître des domaines d’Armagnac et il s’empresse de les démembrer et de les distribuer à ses proches qui l’avaient bien servi. C’est ainsi qu’ Imbert de Batarnay, Comte de Bouchage, est gratifié d’une partie du Comté de Fezensac. Lupiac, Jegun, Castillon, Lannepax, Callian, Vic-Fezensac, Biran, Roquebrune, etc.. lui reviennent.
Ces villes sont traitées en pays conquis et Louis XII, successeur de Louis XI établit un sénéchal royal en Armagnac.
Ce n’est qu’en 1511 qu’il renonce à ses droits sur la maison d’Armagnac, en faveur de Charles d’Alençon (héritier de Charles d’Armagnac, cadet de Jean V), lorsque ce dernier épouse Marguerite d’Orléans.
A la mort de Charles d’Alençon, Marguerite d’Orléans épouse Henri d’Albret, roi de Navarre, mariage en faveur duquel François 1er confirme le traité précédent et supprime les officiers royaux du Comté d’Armagnac.
De cette union, naquit Jeanne d’Albret, reine de Navarre.
Durant les dernières années du XVe siècle, la baronnie de Lupiac avait été engagée, à faculté de rachat, par Isabeau d’Armagnac au sieur de St Yors, et celui-ci l’avait cédée à son tour au sieur de Bats de Castillon. D’autres cessions ont du avoir lieu, car il paraît que Lupiac était tombé sous le pouvoir de seigneurs engagistes.
L'engagisme
L’engagement du domaine de la Couronne, est un contrat par lequel le roi cède à quelqu'un un bien dépendant de son domaine, sous la faculté de pouvoir lui et ses successeurs, le racheter à perpétuité toutes les fois que bon leur semblera.
Le domaine de la couronne, soit ancien ou nouveau, grand ou petit, est inaliénable de sa nature; c'est pourquoi les actes par lesquels le roi cède à quelqu'un une portion de son domaine, ne sont considérés que comme des engagements avec faculté de rachat.
Délivrée des sieurs engagistes, auxquels elle remboursa 4 800 livres, prix stipulé pour le rachat, elle se donna, en 1563 à Jeanne d’Albret, Reine de Navarre.
Par lettre, Jeanne d’Albret promet alors « de ne jamais aliéner, ni engager la place de Lupiac, ni de la mettre hors le comté d’Armagnac. »
Ceci fut confirmé et autorisé par lettres patentes de l’année 1581, données par son fils Henri, roi de Navarre, qui réunit à ce comté la baronnie de Lupiac.
D’autres lettres patentes d’Henri de Navarre, datées de 1584, en provenance de Nérac, signalent :
« Nous nous plaisons à concéder à la ville de Lupiac, qui est close et fermée de murailles, peuplée de bons et riches habitants, des marchés le samedi de quinze en quinze jours, et des foires les jours de St Georges et de St Loup. »
A l’avènement d’Henri de Navarre, devenu Henri IV, ce comté fut réuni à la couronne de France.
Lorsque Charles de Batz de Castelmore dit d’Artagnan naquit aux abords de Lupiac, au début du XVIIe siècle, cette cité faisait toujours partie du domaine royal puisqu’elle y demeura jusqu’en 1696.
A cette date, la communauté souhaita la racheter des mains du Roi, mais Paul de Batz de Castelmore s’en porta également acquéreur et la préférence lui fut accordée par les commissaires de Louis XIV, au terme d’un acte du 14 janvier 1698, moyennant la somme principale de 2 040 livres.
Le domaine consistait en la justice haute, moyenne et basse de Lupiac, grosses amendes, confiscations, baillie, droits seigneuriaux directs, censives, rente annuelle de cent sacs d’avoine, etc... à l’exception de deux droits laissés à la communauté : celui de taverne et de boucherie.
Il est possible que les choses restent ensuite en l’état jusqu’en 1792 où les décrets des 6 juillet et 17 août abolissent tous les privilèges.
Par ailleurs, on sait qu’au XVIIIe siècle, la cure de Lupiac est à la collation de Monseigneur l’Archevêque, ce qui caractérise une ville libre, exempte de tout vasselage. Elle avait deux vicariats, sans compter l’aumônerie de Notre Dame de Pitié, qui en relevait aussi. La chapellenie de l’hôpital, ou de Notre Dame de Pitié, était placée sous le patronage de MM de Bats de Castelmore, et l’église, réservée aux Pénitents Blancs établis dans la ville. Le patronage de cette chapellenie remontait à Bertrand de Bats, sieur de La Plagne, neveu et héritier du sieur de Castelmore et oncle de d’Artagnan, qui avait fondé l’asile des nombreux pèlerins de Saint Jacques de Compostelle, passant par Lupiac.
La chapelle St Jacques accueille aujourd’hui le Musée d’Artagnan.
Concernant toujours le XVIIIe siècle, on peut être étonné de constater que quatorze églises, dont la principale était le siège d’un archiprêtre, s’élevaient sur le territoire de cette commune. La multiplicité de ces églises atteste de l’importance qu’avait cette cité à l’époque.
Plusieurs de ces églises ont aujourd’hui disparu, certaines sont à l’état d’abandon comme Estieux ou St Laurent, mais d’autres sont encore debout, telle celle de Pujos ou de Cahuzères.
Lupiac est restée une cité active au XIXe s. et jusqu’à la seconde moitié du XXe s., elle accueillait toujours une foire importante.
Aujourd’hui, c’est un village paisible qui a gardé la forme ovale de son ancien castelnau, avec un chemin de ronde qui rappelle les anciennes fortifications.
On y remarque de belles maisons autour de la place centrale, notamment celle de l’Hôtel de ville, ancien hôtel particulier du XVIIe siècle qui se prolongeait au nord du village par des jardins dont témoigne encore un grand portail.
L’église paroissiale fut construite en 1849 et il ne subsiste de l’ancien édifice qu’un portail gothique, au nord, qui fait fonction de porte d’entrée du sanctuaire.
En quittant Lupiac vers le château de Castelmore, on passe devant un moulin-à-vent bien conservé et restauré, qui reste un témoin intéressant de l’activité meunière alors importante du village (6 moulins).