Duels: Les temps forts

Duel

Le duel est un combat singulier, assigné d'homme à homme et soumis à certains codes. En règle générale, ces deux adversaires s'affrontent par les armes quand l'un a demandé à l'autre réparation d'une offense ou d'un tort. Le mot vient du latin duellum qui, selon les encyclopédies, serait soit la forme ancienne de bellum = guerre, soit celle de duo = deux. Ce pourrait d'ailleurs être un mélange de ces deux significations, car il s'agissait bien d'une forme de guerre entre deux individus. La signification et les règles du duel ont changé au fil des temps ; l'évolution des armes et le rapport au pouvoir royal et juridique ont modifié, en France, la loi et les conventions qui régissent les duels.


Du duel judiciaire au duel d'honneur

« C'est au cœur de l'Europe, en Germanie, que le duel prit naissance. C'est là qu'on en rencontre les premières traces. Les Germains, qui n'avaient jamais été subjugués, jouissaient, dit Montesquieu, d'une indépendance extrême ; les familles se faisaient la guerre pour venger des meurtres, des vols, des injures. On modifia cette coutume en astreignant la guerre à des règles. Elle se fit par ordre du magistrat, ce qui était préférable à une licence générale de se nuire (…) En envahissant les Gaules les Germains y implantèrent le duel judiciaire. Ce combat avait lieu dans un champ clos, autour duquel était tendue une corde qui tenait la foule en respect (…) Celui des deux combattants qui avait provoqué l'autre lui jetait un gant que ce dernier ramassait pour indiquer qu'il acceptait le défi. Ils faisaient choix d'un ou de plusieurs parrains, lesquels, dans le principe, étaient de simples témoins, mais qui plus tard durent descendre dans la lice pour soutenir leurs filleuls ou venger leur mort (…) Le combat terminé, le vainqueur se rendait à l'église pour rendre grâce à Dieu, et souvent y suspendait, en guise d'ex-voto, les dépouilles du vaincu. » Grand Larousse universel du XIXe siècle

Dés l'an 501, la loi Gombette promulguée par le Roi des Bourguignons codifie le duel en tant que combat judiciaire.

« Pourquoi codifier un usage qui pouvait déjà sembler archaïque ? Parce que, partout dans les royaumes barbares, les différends se réglaient soit par les armes, dans le plus grand nombre des cas, soit par serment, lorsqu'on soumettait son litige à une juridiction. Cette coutume voulait que l'accusateur ou l'accusé judiciaire jurât sur Dieu l'exactitude de ses accusations ou de ses dénégations (…) Force fut de constater qu'en multipliant les serments, on ne faisait que multiplier les parjures. C'est pourquoi Gondebaud introduisit chez les Bourguignons la loi connue depuis sous le nom de Loi Gombette (…)En fait, la loi Gombette n'abolissait pas la preuve par témoin et par serment . Elle spécifiait que ceux qui ne voulaient pas s'en tenir à cela pouvaient choisir la voie du duel. Et pas seulement contre l'accusateur, mais aussi contre les témoins car, précisait la loi, Il est juste que celui qui a offert de jurer et qui a déclaré qu'il savait la vérité, ne fasse point de difficulté à combattre pour la soutenir.  » Martin Monestier

La loi Gombette introduit également la notion de « champion », c'est-à-dire le remplacement d'un des plaignants par une personne davantage capable de se battre.

Le rôle du champion, à l'époque médiévale, a d'ailleurs été une source d'inspiration pour les cinéastes. Dans Le Cid, d'Antony Man, Charlton Heston est ainsi le champion du roi, et participe à ce titre à un de ces combats sous forme de tournoi. Ce passage fait partie des grands duels du cinéma.

Cette loi sera suivie par une longue série d'édits qui vont préciser les règles de ce type de combat.

« Au Moyen Age, le duel était (toujours) très codifié. Le duel judiciaire symbolisait le jugement divin et avait une valeur juridique. L'honneur était au centre de ces combats singuliers, mais ils revêtaient également une dimension spectaculaire et populaire. On rassemblait les gens en placardant des affiches, indiquant qu'un combat en champ clos allait avoir lieu à telle heure, à tel endroit. Le règlement de ces combats d'honneur était simple : les chevaliers ne se soumettaient pas au Roi mais à Dieu, et le vaincu devait périr, tout comme la personne qui utilisait un champion pour se battre à sa place et la représentait dans son différend » Bob Heddle-Roboth – Duels en scène N°1-

Malgré sa codification, le duel judiciaire n'était pas « juste ». En partant du principe que le vainqueur était protégé par le jugement de Dieu et qu'il ne devait sa victoire que par son entremise, on commença à faire un certain nombre d'erreurs judiciaires que même l'église réprouva.

C'est l'affaire qui opposa, au XIVe siècle, deux gentilshommes normands nommés respectivement Jacques Legris et Jean Carrouge, qui mit fin à la notion de jugement de Dieu.

« Jacques Legris avait été accusé par la femme de Jean Carrouge de s'être introduit de nuit, à visage masqué, dans son château et d'avoir abusé de sa tendresse pour son mari, parti en Terre Sainte et dont elle attendait le retour. Il avait protesté de son innocence, et, sur la demande de Carrouge, le parlement avait déclaré qu'il échéait gage et ordonné le duel. Le jugement de Dieu fut défavorable à Legris et on acheva le vaincu en l'accrochant à la potence du champ clos. Quelque temps après, un malfaiteur, au moment d'expier d'autres crimes, s'avoua coupable de l'acte odieux reproché à Legris. Cette cruelle méprise détermina le parlement à repousser systématiquement toutes les demandes en gages de bataille.

Ce fut la fin des combats judiciaires. A partir de ce moment, il n'est plus question de jugement de Dieu, mais de satisfaction à obtenir, pour un de ces outrages qui intéressent ce qu'on appelle le point d'honneur (…) Les tribunaux d'honneur apparaissent en germe sous Louis XII et François 1er » Grand Larousse universel du XIXe siècle

« On est frappé de la distance qui, en si peu de temps, sépare le duel autorisé par le roi, tel que nous allons le trouver durant tout le XVIe siècle, du combat judiciaire d'autrefois. Il n'est plus question d'accusés à demi convaincus ou de champions loués à prix d'or, qui viennent se battre en justice, dispensant ainsi les juges d'instruire les procès sur accusation de meurtre ou de rapine. Dorénavant, on va obéir aux nouvelles règles du « point d'honneur ». Sans nous égarer à la poursuite d'une définition, disons qu'il s'agit de cette folie qui a souvent fait préférer la mort à la vie, qui renferme quelque chose de généreux tout en exaltant le courage qui fait fi, bien entendu, du fait qu'il y a dans le duel attentat à la vie d'autrui. » 
Martin Monestier

De la prolifération des duels

C'est à cause d'un duel devenu célèbre - celui qui opposa en 1547 Jarnac à la Châtaigneraie - que ce combat subit une nouvelle transformation, qui allait en changer la législation et lui permettre de se généraliser à l'excès.

Il est des événements qui provoquent parfois des réactions en chaîne totalement imprévues. On peut dire que c'est précisément le cas de ce duel. Il opposait donc le Baron de Jarnac au Seigneur de la Châtaigneraie et se déroulait sous le règne d'Henri II. La cérémonie dura près de six heures, en présence du roi et de toute sa cour, et - contre toute attente - La Châtaigneraie , une des meilleures lames de son temps et favori du roi, succomba par ce qui allait devenir le « fameux » coup de Jarnac. Ce coup n'avait rien de si fameux, ni de déloyal. Il était seulement judicieux et rusé, car il transformait la petitesse de Jarnac en atout. En blessant son adversaire au jarret, il le mit hors combat et celui-ci, vexé dans son honneur, enleva ses bandages et se laissa mourir. Henri II fut peiné d'avoir ainsi vu mourir son favori, et s'en sentant responsable, décida ne plus accorder de gage de bataille, ou autrement dit de duel public.

Dés lors, il ne fut plus possible de demander, par des voies légales, l'autorisation de se battre en duel. Le duel n'était pas interdit, mais non autorisé. C'est alors que, privé de tout son appareil légal et public, il se multiplia.

« Les mesures prises par Philippe le Bel pour réduire le combat judiciaire en l'introduisant dans le code pénal et, peu à peu, n'en faire qu'une forme tout à fait exceptionnelle de procédure avaient fini par atteindre complètement leur but. Il avait fallu trois siècles. Mais de ce bien, allait naître un terrible mal. En effet, le parlement et le roi ayant renoncé à leur pouvoir de juges en matière de combat judiciaire, et déclarant qu'il n'existait plus de voies légales pour en avoir autorisation, il arriva que, ce qui n'était qu'une procédure extraordinaire, longue et difficile, passa très vite en habitude. N'ayant plus de loi pour le codifier, le combat trouva asile dans les moeurs et, de judiciaire, il devint privé. » Martin Monestier

La multiplication des duels fut aussi favorisée par d'autres facteurs de société.

Les Guerres d'Italie, d'une part, venaient d'apporter de nouvelles armes, plus légères et maniables comme notamment la rapière. Avec celle-ci, la technique et la vitesse dans un combat au corps à corps prenaient le pas sur la force. La manière de s'affronter changea même radicalement puisque la légèreté de la rapière, avec une lame raccourcie, introduisit le coup d' estoc , c'est-à-dire le coup porté dans l'axe de l'épée, à l'opposé du coup de taille qui se faisait avec le fil de l'épée, souvent à deux mains.

En devenant plus technique, le combat à l'épée devait s'apprendre et se pratiquer et les maîtres d'armes firent également leur apparition ; c'est d'ailleurs le maître d'arme de Jarnac qui lui permit de gagner son duel.

De plus, cette nouvelle épée, si légère, se portait sur le côté et pouvait accompagner son propriétaire partout dans ses déplacements. Elle devenait ainsi un signe distinctif d'appartenance à la noblesse, car il est évident qu'à partir de cette évolution, seuls les nobles pouvaient se permettre d'avoir de telles armes et de prendre des cours pour savoir s'en servir. Il était donc facile de dégainer son épée, à n'importe quel coin de rue ou sur un bout de pré, pour relever le défi d'un adversaire ou pour venger un honneur bafoué.

Les règnes de François II, Charles IX et surtout Henri III voient les duels se multiplier et une certaine barbarie envahir la cour.

«  Les Mémoires du temps montrent que l'on joue avec la mort, celle des autres et la sienne. On s'égorge au Pré-aux-Clercs, on se poignarde au coin d'une rue… Henri III porte un long chapelet dont les grains sont des têtes de mort, qu'on retrouve dessinées jusque sur les rubans de ses souliers. 

C'est aussi l'époque de la publication des fameux traités d'escrime dus aux meilleurs maîtres d'armes des écoles française et italienne. Et c'est dans ce creuset de scandales et d'intrigues que naît la fine fleur des duellistes, les « belles épées » et les « fines lames », que l'on voit à l'œuvre dans des rencontres sanglantes. C'est l'époque des duels terribles, à outrance, qui voient les ferrailleurs les plus en vue, tels Bussy d'Amboise, de Mouÿ, Châteauvillain, Vitaux, le chevalier de Guise, risquer leur vie, comme à plaisir, pour les causes les plus futiles. » 
Martin Monestier

« Le duel prend une telle importance dans la Cour de France, à la fin du XVIe siècle, qu'il devient une véritable norme comportementale. Une sorte d'éthique du sacrifice, du don de soi, pousserait même les Mignons de Henri III à lancer cartel sur cartel pour prouver leur amour à la personne du Prince, déclenchant de véritables hécatombes » Pascal Brioist

Avec l'arrivée d'Henri IV sur le trône de France et de Navarre, les duels vont avoir une nouvelle raison de se multiplier.

« Les guerres civiles des règnes précédents ont profondément altéré l'unité nationale. En fait, elles ne sont pas terminées. Par ailleurs, ce long désordre a engendré une sorte d'anarchie nobiliaire, de brigandage non réprimé, où l'initiative individuelle règne insolemment comme aux plus sombres temps de la féodalité.

L'impuissance des lois autant que la tolérance du roi font qu'aussitôt Henri IV installé au Louvre, se déclenche une multitude de duels. Le roi lui-même s'exerce régulièrement à l'épée mais, rompant la tradition des maîtres d'armes italiens, il a appelé auprès de lui un maître français, Pierre Duportal. Comme l'écrit un contemporain : La Cour était la vive, ou plutôt la mortelle source de ces combats, dont les sanglants ruisseaux abreuvaient tout le royaume . » Martin Monestier

Le XVIIe siècle ou le siècle des duels

Commencée avec Henri IV, la transformation de l'état féodal en état royal s'achève sous Louis XIII puis Louis XIV. Le pouvoir royal étend son omnipotence sur un territoire français de plus en plus grand avec des prérogatives de plus en plus étendues. Les négociations auxquelles les rois avaient jusque-là été soumis vis-à-vis de la noblesse, pour pouvoir régner, sont en voie de disparition. Face à ce qui allait devenir un pouvoir absolu, la noblesse trouve, dans le duel, un moyen de défier l'autorité royale et de maintenir une illusion d'indépendance.

« Le duel était chez le noble la manifestation d'un individualisme forcené, se jouant des contraintes institutionnelles. On cherchait par le même geste à affermir sa réputation de vaillance et à affirmer son identité nobiliaire. L'absolutisme monarchique, qui se mit en place au XVIIe siècle, se heurta à cet état d'esprit. » L'escrime – Collection Découvertes de Gallimard.

Curieusement, c'est aussi l'époque où les édits interdisant les duels se font de plus en plus sévères. On pourrait même dire que les deux phénomènes vont de pair et que c'est sous Richelieu, le plus virulent législateur contre les duels, que ces derniers virent leur apogée.

«  Les Historiettes de Tallemand des Réaux en sont remplies. A cette époque, les gens d'Eglise eux-mêmes prenaient leurs grades dans les académies d'armes (…) Les gens de lettres se mettaient aussi de la partie. Le plus endiablé de tous, Cyrano de Bergerac, appelait sur le pré quiconque le regardait et quiconque ne le regardait pas. La contagion du duel gagnait les femmes elles-mêmes. » Grand Larousse universel du XIXe siècle

C'est d'ailleurs par la recommandation du père de d'Artagnan, de se battre en duel, que débute le roman d'Alexandre Dumas Les Trois Mousquetaires - qui se déroule sous le règne de Louis XIII et de Richelieu.

« C'est par son courage, entendez-vous bien, par son courage seul, qu'un gentilhomme fait son chemin aujourd'hui (…) Vous êtes jeune, vous devez être brave pour deux raisons : la première, c'est que vous êtes Gascon, et la seconde, c'est que vous êtes mon fils. Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Je vous ai fait apprendre à manier l'épée ; vous avez un jarret de fer, un poignet d'acier ; battez-vous à tout propos ; battez-vous d'autant plus que les duels sont défendus et que, par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre. »

Recommandation suivie à la lettre par d'Artagnan dès son arrivée à Paris puisque ce sont les trois provocations en duel qu'il lance, qui lui permettent de rencontrer les trois mousquetaires, ses futurs amis.

Pourtant l'édit de 1626 est redoutable.

« Il va devenir une arme terrible entre les mains de Richelieu qui s'en est saisi pour ne plus le lâcher. Le Duc de Praslin reste dans l'histoire comme celui qui, le premier, osa enfreindre l'édit en lançant un cartel. Il fut dépouillé de toutes ses charges : sa lieutenance du roi en Champagne, son baillage de Troyes et son gouvernement de Marans. Quelques semaines plus tard, le bruit courut qu'un différend s'était élevé entre le Duc de Halluin et le Sieur de Cressias, et que ce dernier avait reçu provocation du premier par l'entremise su Sieur Liancourt. Sur cette simple rumeur, le Duc d'Halluin fut écarté de la Cour , et le Sieur de Liancourt perdit sa charge de premier gentilhomme de la Chambre du Roi. On va voir aussi tomber des têtes, et non les moins titrées. » Martin Monestier

Mais cet édit est aussi une arme à double tranchant pour le Cardinal qui s'en sert à des fins politiques. Sa position face aux duels n'est donc pas aussi claire qu'elle en a l'air.

« L'édit que le Cardinal avait fait adopter et qui réintroduisait l'échelonnement des peines lui permit de souffler tantôt le chaud, tantôt le froid. S'il n'hésitait pas à faire trancher les têtes qui lui semblaient vouloir trop s'élever au-dessus des autres, il se montrait, en revanche, fort tolérant pour le menu frottin de la noblesse. Il l'était tout particulièrement avec les jeunes nobles qui le servaient et qu'on appelait «  La garde du Cardinal  ». Pourtant, le moindre prétexte leur était bon pour tirer l'épée contre les Mousquetaires du Roi. La haine et la rivalité qui séparaient ces deux corps d'élite étaient à la mesure de leur adresse à l'épée. » 
Martin Monestier

Il n'y avait cependant pas que du cynisme dans l'esprit de Richelieu qui savait aussi apprécier la valeur et le courage des duellistes. Tout comme Louis XIII, qui les admirait.

« Le succès remporté par le Cid (de Corneille) auprès du Roi et surtout de Richelieu peut surprendre. Sans doute, le Cardinal avait-il remarqué les arguments contre le duel et approuvé, comme le Roi, les vers sur le pouvoir absolu. Mis il admira probablement aussi, tout comme Louis XIII, le personnage de Rodrigue. Lui qui oeuvra tout le temps de son ministère à renforcer le pouvoir royal, à lutter contre l'esprit d'indépendance de la noblesse, appréciait en gentilhomme la vaillance des duellistes (…) Cette admiration pour le duelliste (…) était donc partagée non seulement pas la société dans son ensemble, mais aussi par ceux qui détenaient le pouvoir. Le Roi vivait en lui-même l'opposition entre les lois civile et religieuse et l'état des mœurs : le duel était un crime de lèse-majesté, mais il ne pouvait se défendre d'admirer ceux qui le commettaient. C'est probablement cette contradiction qui explique, outre le souci de reconnaître les services rendus à la guerre par la noblesse, le manque de constance du Roi dans la lutte contre le duel. » Mariette Cuenin-Lieber- Duel en scène N°1.

Cette admiration, que partageaient ces deux hommes de pouvoir pour les duellistes, trouvait à s'exprimer dans l'affrontement que se livraient les Gardes du Cardinal et les Mousquetaires du Roi. Indirectement, Louis XIII et Richelieu l'encourageaient. La situation est tellement paradoxale qu'Alexandre Dumas ne peut s'empêcher de l'utiliser comme principal ressort de son roman quitte à faire naître d'Artagnan vingt ans plus tôt. L'occasion était trop belle !

C'est avec le Roi Soleil que le nombre d'édits interdisant les duels atteint son paroxysme, mais ils ne parviennent pas davantage à en stopper la pratique…

« Sous Louis XIV, onze édits furent rendus contre les duellistes ; en 1643 ; 1644 ; 1646 ; 1651 ; 1653 ; 1668 ; deux en 1679 ; 1704 et 1711.

L'édit de 1643 constitua le corps des maréchaux, juge suprême et arbitre souverain des affaires d'honneur. Celui de 1679 déclara imprescriptible le crime de duel, et frappa de mort, non seulement les principaux acteurs, mais encore les second et les tiers, avec confiscation de tout ou partie de leurs biens. L'édit de 1704 prescrivit des mesures propres à assurer une satisfaction légitime à l'honneur outragé. Les démentis, les coups de poing ou de canne étaient punis de prison. Quiconque avait donné un soufflet en recevait un autre de son adversaire. On comptait écraser le duel sous ce monceau de lois ; mais il nargua tout cet arsenal de peines. Deux gentilshommes eurent même l'audace de tirer l'épée jusque dans le Palais de Versailles ! » Grand Larousse universel du XIXe siècle

Il est d'autant plus vain de tenter de supprimer les duels que, dans le même temps, le maniement de l'épée se sophistique à l'extrême grâce au développement de l'escrime à la française et à la qualité de ses maîtres d'armes. La position du pouvoir royal est d'ailleurs fort ambiguë à ce sujet car Louis XIV n'hésite pas à anoblir des maîtres d'armes, encourageant indirectement une pratique dont il connaît bien les possibles débordements.

« En devenant un office de la Maison du Roi, la fonction de maître d'armes acquiert une noblesse symbolique à défaut d'être réelle. Serviteurs et maîtres à la fois, les professeurs d'escrime entrent parfois dans la Maison des gentilshommes qu'ils éduquent. A cette distinction, s'ajoutent les traités, l'escrime passe pour une science fondée sur la géométrie, la physiologie et la théorie des passions. Cette conception (…) alimente les prétentions des maîtres d'armes à l'anoblissement. En 1656, Louis XIV accorde ainsi un blason d'armoiries à la communauté parisienne et la noblesse héréditaire à six de ses plus anciens maîtres. Cette mesure marque un apogée plutôt que la naissance d'un nouveau statut. » Hervé Drévillon

Comme sous Louis XIII, il y a contradiction entre les lois et l'esprit du temps. D'autant que le duel est l'expression la plus emblématique de l'hérédité du sang noble. Il faut du courage et un véritable panache pour provoquer en duel, affronter la mort et ne pas la redouter. C'est ce qui fait la différence entre les nobles et les roturiers.

Quand Molière met en scène un bourgeois qui veut devenir gentilhomme, il ne manque pas de montrer sa couardise face au jeu d'épée. Son bourgeois n'apprend pas l'escrime pour savoir bien se battre comme le fait un noble, mais uniquement pour ne prendre aucun risque. Monsieur Jourdain répond à son maître d'arme qui lui montre une technique :

« De cette façon donc, un homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son homme et de n'être point tué ? ».

Une telle remarque n'aurait pu être celle d'un noble ! D'autant que ces derniers sont nostalgiques de l'époque héroïque des chevaliers, cet âge d'or de la noblesse.

Le XIXe siècle et l'autre apothéose des duels

Jusqu'à la Révolution, les rois se succèdent et signent des édits condamnant les duels qui continuent pourtant à être pratiqués assidûment. Quelques duellistes fameux marquent le XVIIIe siècle, comme le Duc de Richelieu.

« De duel en duel, d'impunité en grâce, le duc de Richelieu devint le plus célèbre duelliste du règne de Louis XV. Sa participation à toutes les guerres du royaume conforta encore sa réputation d'adresse et de courage. Il finit sa vie, couvert de charges et de distinctions. Alors que, selon les textes en vigueur, il aurait du être cinq fois décapité, dépossédé de ses titres, charges et biens de famille, il fut successivement ambassadeur, maréchal de France, gouverneur général du Languedoc, puis de la Guyenne et du Languedoc, avant d'être élu à l'Académie Française et, comble du paradoxe, président du tribunal du point d'honneur des maréchaux de France, en 1781, sous Louis XVI. » Martin Monestier

Ou encore le chevalier de Saint Georges, ce mulâtre fort admiré pour ses talents de bretteur, de musicien et de séducteur, défini par La Boessière comme « l'homme le plus extraordinaire qu'on eut peut-être jamais rencontré dans les sciences de l'épée. »

Et enfin, et non des moindres, le chevalier ou la chevalière d'Eon, cet individu étrange qui troubla son monde en étant tour à tour homme ou femme, et qui, sans contexte, fut une des plus fines lames de l'époque.

Le XIX° siècle apporte de grandes modifications au duel, sans pour autant en modérer la pratique. Aux côtés de l'épée, apparaissent le sabre et surtout le pistolet.

Par ailleurs, ce n'est plus une affaire de nobles. Une nouvelle classe de la société s'affronte à coup de duels, et en particulier les journalistes, les politiques, les écrivains ou les artistes.

« Désormais, le duel appartenait à tous les partis ; il devenait un mode d'expression largement partagé et n'était plus seulement l'apanage d'une noblesse ou des partisans d'un légitimisme suranné. » Hervé Drévillon & Pierre Serna

Les grands noms de ce siècle se retrouvent presque tous, un jour ou l'autre « sur le pré » et si les prétextes en sont souvent futiles, le refus de se battre serait une véritable honte.

Parmi ceux qui pratiquent le duel, certains restent lucides sur le dilemme posé par celui-ci, tel Victor Hugo qui, quelques mois après s'être lui-même battu en duel, écrit : « Le duel ne cesse d'être méprisable qu'en devenant odieux. Voilà toute ma pensée. Je dois cependant, pour la compléter, ajouter qu'il est des cas où le plus honnête homme ne peut se dispenser d'avoir recours à ce sot préjugé. »

Se retrouvent donc impliqués dans un ou plusieurs duels des hommes comme Thiers, Lamartine, Alexandre Dumas, Victor Hugo, Saint Beuve, Ledru-Rollin, Jean Jaurès, Déroulède, Clemenceau, etc. pour n'en citer que quelques uns.

C'est surtout la Chambre des Députés et les colonnes des journaux – ce nouveau pouvoir – qui fournissent la cohorte des duellistes que ce siècle voit passer.

Dans la première, les injures et les altercations vont bon train et dans les deuxièmes, les articles sont souvent virulents, de telle sorte que les prétextes ne manquent pas.

« Les observateurs les plus lucides s'aperçoivent que la joute politique de la Révolution s'est transformée en duel de parlementaires ou de journalistes. Les termes de l'escrime ont migré définitivement vers les feuilles militantes. Faire mouche, esquiver, porter une botte, l'estocade finale… entrent dans le registre stylistique des plumitifs. L'escrime des mots prend un visage redoutable et influe désormais sur la violence des fers croisés. » Hervé Drévillon & Pierre Serna

De nouveaux projets de loi tentent d'endiguer cette hécatombe, mais ils n'aboutissent pas et provoquent, a contrario, une sorte de vide juridique qui laisse la place à toutes les exagérations. Comme aux siècles passés, le XIXe peut se targuer d'avoir ses duellistes célèbres. Le fougueux Paul Cassagnac est l'un d'entre eux. Ce journaliste gascon , digne héritier de l'esprit mousquetaire, issu d'une famille de duellistes de père en fils, était un provocateur autant qu'un escrimeur confirmé. 
Il écrivit même un essai sur le duel intitulé " Allez, Messieurs ! ".

Tous ses duels défrayèrent la chronique et il se battit vingt deux fois entre 1880 et 1889, avec certains rencontres plus rocambolesques que d'autres, comme celle avec un nommé Flourens. « Flourens, un des chefs de la Commune, lors d'une campagne électorale, jugea insupportables certains propos de Cassagnac ; incontinent, il le provoqua en ces termes : Vous avez insulté la République , ma mère, vous m'en rendrez raison ! À quoi Cassagnac s'empressa de répondre : Je suis occupé avec votre père, le Peuple. Dès que j'aurai fini, je serai à votre disposition !

La rencontre fut donc décidée, mais Paul de Cassagnac, gravement malade, sollicita un délai qui fut interprété par Flourens comme une reculade, et de fanfaronner aussitôt dans sa feuille: «À la pensée de se rencontrer avec moi, M. de Cassagnac a mal au ventre..." On imagine la réaction du mousquetaire gascon. Il envoie ses témoins pour fixer l'affaire au lendemain et, plus mort que vif, se fait porter en civière sur le terrain. Devant le spectacle de son adversaire décomposé par la douleur, Flourens propose un report, à quoi Cassagnac lui répond : Si vous ne vous battez pas immédiatement après ce que vous avez écrit, je vous balafre.

À peine en garde, les deux hommes se ruent dans un assaut furieux et roulent net à terre ensemble; Flourens avait reçu une lame profonde au-dessus de la ceinture, Cassagnac, quant à lui, avait perdu connaissance d'épuisement. Il venait de faire l'effort de se battre avec une typhoïde "carabinée"... Ce qui ne l'empêcha pas lorsqu'il croisa la civière sur laquelle on emportait le malheureux de lâcher dans un souffle : Eh! bien, citoyen Flourens, le mal au ventre ça se gagne ! » Robert Castagnon

C‘est donc dans ce contexte général, que surgit au milieu du siècle le roman de Cape et Epée , qui est une sorte d'apologie du duel, et surtout du duel d'épée.

Le duel disparaît avec la guerre de 1914-18.
« Il n'a plus sa place dans le cataclysme que vit la moitié de la planète. La paix revenue, une nausée de sang et de violence saisit les pays européens exsangues. Plus jamais ça ! entend-on partout. Le duel apparaît désormais pour le plus grand nombre, comme un comportement archaïque, sans aucun fondement, déplacé, humiliant même. » Martin Monestier.

A partir de cette date, à quelques exceptions prêts, le duel quitte la rue et le pré pour s'installer sur les écrans de cinéma. Il renaît alors miraculeusement de ses cendres et y commence une nouvelle carrière… internationale.

S'il est la vedette incontestable des films de Cape et d'Epée, il ne rechigne pas à s'inviter aussi à la table de tous les genres cinématographiques. Même James Bond, en 2003, renoue avec le duel à l'épée, malgré les armes sophistiquées auxquelles ce héros a habitué son public. C'est finalement la fiction - roman ou film - qui a réconcilié le duel avec tous ses détracteurs. Elle l'a rendu inoffensif tout en lui conservant ce qu'il a de plus précieux ; son Panache !