Au XVIIe siècle, le fait de posséder des Gardes était une marque d’honneur et de prestige assez exceptionnelle. C’était d’ailleurs un privilège d’autant plus rare qu’il donnait à celui qui possédait ainsi sa garde personnelle, un pouvoir qui pouvait compromettre la sécurité de l’Etat.
Le clergé des Etats Généraux de 1614 disait dans l'article 137 de ses remontrances au Roi : « Les gardes représentent quelque marque de souveraineté et pour ce, les Etats supplient Votre Majesté de ne permettre, spécialement en temps de paix, qu'aucun en votre royaume, en quelle qualité qu'il soit, ait des gardes ».
Les Rois en étaient avertis et n’octroyaient pas cette faveur facilement.
Henri III l’avait fait savoir par des ordonnances qui interdisait à quiconque « de quelque qualité et condition qu'il pût être, quelque dignité, titre d'office et charge qu'il eût dans le royaume », d'entretenir « des gens de guerre soit de cheval, soit de pied... sous quelque prétexte qu'on pût prendre ».
Mais il y avait des exceptions.
Ainsi, sous Louis XIII, la Reine mère Marie de Médicis avait des gardes du corps, tout comme le frère du roi, Gaston, Duc d’Orléans, ainsi que le connétable, chef suprême des Armées.
« Enfin, le Roi avait même dû tolérer que les gouverneurs des provinces circulant « dans l'étendue de leurs charges » pour assurer l'ordre, se fissent accompagnés de cavaliers armés; dans certains cas même, il le leur avait prescrit, par précaution.
(...) Mais sauf ces exceptions, qui avaient leur raison d'être, la défense générale était maintenue et appliquée. Nul dans l'Etat, fut-il ministre et ministre prépondérant, n'avait le droit de s'entourer d'une garde particulière quelconque. »
Louis Batiffol
En 1624, le Cardinal de Richelieu entre au Conseil du Roi, en qualité de simple conseiller. Il est alors assez antipathique à Louis XIII qui voit son arrivée d’un mauvais œil et ne le tolère que par nécessité.
Richelieu ne possède bien évidemment aucune garde personnelle, d’autant plus qu’il ne souhaite pas commettre d’imprudence envers le Roi.
« Loin de s'afficher par d'inquiétantes prétentions, il allait, à force de respect, de circonspection, de dévouement, tâcher de faire revenir le souverain de ses préventions contre lui, et, lentement, au moyen du règlement heureux de difficiles questions politiques, modifier à la longue les dispositions hostiles de Louis XIII en lui faisant apprécier la valeur de ses services, au point que des intrigues de cour désordonnées ayant suscité contre le Cardinal des inimitiés ardentes, Louis XIII, qui, maintenant, estimait son ministre de jour en jour davantage, allait le soutenir, le défendre ; puis, les oppositions grandissant pour aboutir à des menaces de troubles alarmantes, le Roi qui, décidément, tenait à Richelieu et même l'aimait, allait résolument prendre fait et cause pour lui. Ce sont ces circonstances et des incidents particulièrement graves de l'année 1626 qui vont amener Louis XIII à donner spontanément des gardes au Cardinal. »
Louis Batifol
En fait, Richelieu se trouve être victime d’une conspiration générale à la suite de l’annonce du mariage de Gaston, duc d’Orléans avec Mademoiselle de Montpensier et des menaces de mort planent sur sa personne.
Louis XIII est furieux et décide de protéger Richelieu en lui octroyant une Garde personnelle… en le forçant même à accepter cette Garde.
Il semble au départ, que Richelieu ne soit pas très enthousiasmé par cette idée comme il l’écrit à Bouthillier, secrétaire des commandements de Marie de Médicis :
Je vous avoue que c'est une fâcheuse chose d'être contraint de se faire garder, étant certain que dès l'heure qu'on est réduit à ce point, on peut dire adieu à la liberté. Cependant... plus ils chercheront ma vie, plus chercherai-je à servir le Roi.
Le 27 septembre 1626, Louis XIII signe un brevet par lequel « il ordonne a monseigneur le Cardinal de tenir toujours près de sa personne cinquante hommes à cheval avec les chefs pour les commander, par lui choisis » ce qui est l'autorisation de principe, pour Richelieu, d'avoir des gardes.
D’après le Mercure français, les cavaliers en question auraient été des « mousquetons, par conséquent des mousquetaires à cheval, mais cette dénomination n'a pas été maintenue. »
Cette Garde, aux yeux du Roi, comme à ceux de quelques observateurs de l’époque, semble fort nécessaire car Richelieu ne compte pas que des amis.
Et le Prince de Condé disait ainsi à Guron en 1627 :
Le Cardinal a plus de raison de se garder que jamais... Le Roi sait bien qu'il y a entreprise sur sa vie, qu'elle y est encore et qu'il doit se garder de poison et prendre garde à tout ce qui entre dans sa maison.
Et Richelieu écrira à ce propos en 1629 :
J'ai entretenu trente gardes à mes dépens depuis deux ans pour me garantir de la haine de beaucoup d'ennemis que la seule considération de l'Etat a mis sur les bras.
En 1631, Louis XIII décide d’ailleurs d’augmenter l’effectif des troupes du Cardinal et de lui accorder le privilège d’avoir une Garde réglée sur le modèle de sa propre Garde Royale.
Comme le dit Saint-Simon :
« Le Cardinal de Richelieu a eu la même maison militaire que nos rois : des gardes, des gens d'armes, des chevau-légers et, le dernier, des mousquetaires; de plus, tous commandés par des seigneurs et par des gens de qualité sous eux. »
« Par acte en effet d'abord du 1er août 1631, Louis XIII donne « commission au Cardinal de lever une compagnie de chevau-légers » de cent vingt maîtres pour sa garde personnelle. Cette compagnie va bientôt perdre son nom de chevau-légers et devenir simplement « la garde à cheval de Son Eminence ».
Le 30 août suivant, le Roi donne à Richelieu « commission pour la levée d'une compagnie de cent hommes d'armes ». Ces cent hommes d'armes s'appelleront « gens d'armes ». Mais cette compagnie ne sera guère employée qu'aux armées...
(...) Puis le Roi attend trois ans et, le 4 mai 1634, il signe une « commission donnée à monseigneur le Cardinal pour la levée d'une compagnie d'hommes de guerre à pied pour résider auprès de sa personne et servir à sa garde ordinaire ».
Archives Affaires Etrangères Fr. 823, fol.147 r° et « Rolle des cavaliers de la compagnie de Monseigneur », ibid., fol. 281 r°
En fait, tout comme la Compagnie des Mousquetaires du Roi fait du mot « Mousquetaire » son terme générique, cette compagnie choisit le sien qui sera celui de « Garde ».
Un contemporain parlant de cette Garde, la décrit ainsi :
Il me souvient que la première fois que Son Eminence marcha en équipage dans Paris, je la vis passer dans la rue des Lombards : on admirait la belle tenue de ces soldats qui étaient les plus qualifiés et les plus braves du royaume.
« D'après les règlements, il faut qu'il y ait quotidiennement soixante gardes de service en permanence dans la résidence du Cardinal. Ces soixante gardes seront « nourris et auront leurs tables servies par des gens à ce préposés dans leurs salles d'armes ». la faction fait par chaque garde dure une heure. Le factionnaire doit se tenir droit, « le pistolet bandé, amorcé et le chien abattu caché sous la casaque écarlate ». Les mousquets restent au râtelier de la salle des gardes où on peut aller les prendre en cas d'alerte. Les gardes ne laissent entrer personne sans ordre exprès.(...) Si le Cardinal sort, ils montent à cheval, escortent le carrosse de son Éminence qu'ils entourent. Mais si on va au Louvre, ils ne doivent pas pénétrer dans la cour du palais. Là où le Roi se trouve, il ne peut y avoir que ses propres gardes. Les pamphlétaires n'ont pas manqué de s'élever contre le spectacle, à leurs yeux scandaleux, qu'offrait le ministre circulant dans les rues de Paris « pressé de capitaines, disent-ils, lieutenants, enseignes et gardes, ayant tous des pistolets dans leurs poches et des dagues dans leurs chausses. »
A l'hôtel même du Cardinal, le capitaine des gardes ne doit pas quitter en principe son Éminence. Il a sa chambre dans chaque résidence du ministre. »
Louis Batifol
En fait, à côté de ce décorum, les Gardes de Richelieu ont aussi d’autres fonctions et servent à remplir les missions délicates de Richelieu. Ils sont ainsi souvent envoyés en campagne, afin de vérifier les opérations sur le terrain et d’en faire un rapport au Cardinal. Ce type « d’espionnage » n’était d’ailleurs pas pour plaire aux armées.
Richelieu envoie aussi ses Gardes au combat, lorsque cela s’avère nécessaire. Si la réputation des Mousquetaires du Roi, dans ce domaine, leur est supérieure, elle n’en reste pas moins une troupe imposante et bien entraînée.
« Il existe pour 1636 un tableau de l'ensemble des troupes, destinées aux opérations militaires de cette année-là, mises sous le nom de Richelieu. Avec sa compagnie des gardes à cheval, sa compagnie des mousquetaires et celle des gendarmes, le Cardinal entretient des troupes qui montent au total à près de 3000 hommes. »
Louis Batifol
Le fait même que l’armée de Richelieu était conséquente, ne manquait pas d’effrayer et de soulever des plaintes et contestations. L’importance de ses Gardes mettait en défi le Roi lui-même et pour de nombreux pamphlétaires, le Cardinal « avait autant de sortes de gardes que le Roi. Il allait dans Paris avec cet équipage mieux servi que n'était Sa Majesté ».
« Le peuple s'y trompait souvent et criait en le voyant passer « Vive le Roi » .
N'était-ce pas là afficher un mépris du monde extraordinaire ?
Ne semblait-il pas que « la personne du Roi fût abandonnée », puisque le ministre « prenait toutes les marques de la royauté » et souffrait même que « plus de cent gentilshommes, payés aux dépens du Roi, marchassent devant lui »?
Mieux même, ne pouvait-on dire que Richelieu, « se faisant environner de Gardes non comme un roi mais comme un tyran » témoignait ainsi de la crainte qu'il avait des "effets du désespoir dans lequel il jetait tous les hommes ?
Et on attaquait ce qu'on appelait « la tyrannie » du Cardinal ! Elle était un véritable danger pour l'Etat !
On disait à Richelieu : « Vous avez tellement irrité les particuliers et le public qu'il vous semble que tous les hommes qui vous approchent soient des assassins, tous leurs doigts des poignards et tous les fers de leurs aiguillettes des stylets ! »
Louis Batifol
Louis XIII ne se laissait pas impressionné par tous ces quolibets car il tenait à la sécurité de son ministre. Jusqu’à la mort de Richelieu, puis de Louis XIII, la Compagnie des Mousquetaires du Roi et celle des Gardes cohabitèrent au sein de l’Etat, malgré tous les bavardages qu’elles ne manquaient pas de provoquer.