Le terme de « Château Gascon » est devenu aujourd’hui une sorte « d’appellation d’origine » depuis que Philippe Lauzun, alors Président de la Société Archéologique du Gers l’inventa, à la fin du XIXe siècle.
Une appellation, parfois contestée, mais qui a l’immense mérite d’offrir une dénomination à l’architecture si spécifique de ces châteaux forts, érigés en Gascogne,
aux XIIIe et XIVe siècles.
Une architecture, unique.
Partant d’une « tour-salle » et associant ensuite la tour et le logis dans un même édifice, ce modèle architectural, dit de « logis à tour adossée », est unique et curieusement localisé à la Gascogne gersoise. Il est même à l’opposé du « logis à tour détachée » plus commun dans l’ensemble des provinces méridionales.
Il est d’autant plus original qu’en France en général, durant cette même période, les constructeurs d’édifices militaires n’ont pas fait preuve d’une grande inventivité. Ils ont, partout ailleurs, adapté les bases d’ouvrages antérieurs en fonction de l’évolution des techniques militaires sans toutefois innover en la matière.
La Gascogne offre donc une architecture unique à double titre, même si cette dernière repose sur des principes très modestes de défense et de construction.
Un plan, fort simple.
Les châteaux gascons sont construits selon un principe de grandes salles superposées, selon un plan similaire et fort simple.
Tous assis sur une base rectangulaire, quelquefois presque carrée, la plupart du temps oblongue, ils n’ont pas de cour intérieure, ni de grosse tour. Ils se réduisent à un corps de logis flanqué d’une ou plus souvent de deux tourelles qui sont carrées, étroites et forts hautes ; elles seraient surtout destinées au guet. La hauteur du corps de logis de ces châteaux est de plus de dix mètres.
Les divisions intérieures répondent à des principes de commodité, tant sur le plan résidentiel que défensif.
Le rez-de-chaussée, qui servait de magasin, de cave, de cuisine, est le plus souvent hermétiquement clos. On y accédait par le premier étage, au moyen de trappes et d’échelles mobiles. Le premier étage servait de corps de garde et de dortoir ; il n’était ajouré que par d’étroites meurtrières.
Seule était franchement ajourée la salle d’armes du deuxième étage.
Tous construits sur des points culminants, les châteaux gascons ne sont généralement pas défendus par des fossés, ni des murs d’enceinte. Ils n’avaient visiblement pas pour but de défendre un siège, mais seulement de loger une garnison peu nombreuse et de faire office de gardien. Tours de guet, de garde, ils sont surtout des postes d’observation.
Pourtant, ils étaient capables d’offrir une large résistance avant que l’artillerie n’ait été découverte et perfectionnée.
Mais surtout, et c’est là une de leur grande subtilité, ils ne pouvaient pas être assiégés sans que le pays entier en fut averti, ou de nuit ou de jour, par des signaux transmis de l’un à l’autre.
Une période de construction, florissante autant que troublée.
La période de construction de ces châteaux est principalement le XIIIe siècle, époque la plus florissante pour la Gascogne. L’accroissement de la population est alors à son apogée, ainsi que l’évolution sociale et politique; de ce fait, on défriche, on construit, on organise l’habitat. De 1260 à 1360, de nombreuses bastides fortifiées et une multitude de châteaux sont ainsi érigés.
Par ailleurs, de 1290 à 1453, la Gascogne ne connaît la paix qu’à de rares intervalles. Elle est déchirée par la rivalité de deux grandes maisons – Les Comtes de Foix-Béarn d’un côté et ceux d’Armagnac de l’autre – et elle est meurtrie par la lutte épuisante des rois de France contre les rois d’Angleterre.
Une densité territoriale, exceptionnelle.
L’origine exacte de ces châteaux et la raison de leur architecture n’ont pas encore fait l’unanimité. Seul point de ralliement parmi les historiens et les archéologues : leur densité territoriale exceptionnelle.
Mais pourquoi tant de châteaux, aux allures si semblables, se sont-ils dressés ainsi, à la même époque et sur un si petit territoire ?
Georges Tholin, dans sa préface du livre de Philippe Lauzun, avait expliqué leur construction en défendant la thèse selon laquelle ils constituaient les maillons de deux lignes défensives, au temps où une partie de la Gascogne était anglaise.
La nécessité de se fortifier sur les points de contact aurait alors imposé la mise en place de ces constructions, de part et d’autre, dressées comme autant de sentinelles gardiennes et défensives.
Cette thèse a été ensuite réfutée par Jacques Gardelles puis Gilles Séraphin qui ont souligné la part majeure de l’élément résidentiel de ces constructions ainsi que leur statut de lieux seigneuriaux non voués au service de la puissance suzeraine.
Il faut cependant revenir au contexte de l’époque pour trouver l’amorce d’une explication.
En ce temps-là, en effet, la guerre de Cent Ans sévissait et une partie de la Gascogne était anglaise.
Peu de gens se souviennent que les rivalités entre les royaumes de France et d’Angleterre ont en fait duré près de trois siècles (entre le XIIe et le XIVe) et que les querelles avaient commencé bien avant la guerre.
En Gascogne, on était aux premières loges de ces affrontements, d’autant que les royautés françaises et anglaises, établies respectivement à Toulouse et à Bordeaux, se disputaient âprement le grand Sud-Ouest.
De ce fait, l’idée d’un front territorial « anglo-français », défendu par Georges Tholin n’est pas invraisemblable. Cette démarcation territoriale était comme un « statu quo » entre les deux parties qui pouvaient se jauger et se surveiller.
Les constructions érigées sur ce front, le plus souvent au sommet des collines, ne constituaient pas un système défensif à part entière mais une ligne de tours de garde ou de guet qui donnèrent ainsi leurs noms à certains châteaux et lieux-dits, tel « La Gardère » ou « Le Gardès ».
Comme l’a souligné Philippe Lauzun, on peut aisément imaginer que, de chaque côté, les bâtisseurs se soient d’ailleurs mutuellement « copiés » pour établir des dispositifs qui finissaient par se ressembler.
Mais que dire des autres châteaux gascons, ceux qui sont plus éloignés de la zone frontalière ?
Z. Bacqué a proposé une explication pour certains d’entre eux, notamment ceux qui ne sont pas situés sur des positions élevées : « Bâtis au bord d’un cours d’eau, au carrefour d’une route, ils ne peuvent remplir le rôle de vigie dévolu aux premiers ; ils répondent à une autre nécessité de défense : la garde des points importants du chemin de rocade qui, en arrière des positions avancées, bordait la frontière du Condomois et de l’Armagnac. »
Quant aux autres, ceux qui ne sont pas construits - stricto senso - à des emplacements névralgiques, ils avaient aussi un rôle essentiel durant ces temps troublés : ils étaient des points-relais, des postes d’observation et d’information. Leurs bâtisseurs avaient parfaitement compris et interprété la topographie si particulière de la Gascogne pour pouvoir l’utiliser à des fins de communication.
En effet, peu de régions offre une physionomie aussi collinaire et propice à l’instauration d’un système de communication à vue. Les lignes de crête qui ponctuent la Gascogne sont de véritables balcons, comme autant de chaires d’orateurs invisibles qui pourraient s’interpeller au-delà des mots.
Alain de la Bourdonnaye le rappelle ainsi :
« Le système de communication à vue, en cas de danger, est depuis longtemps employé dans les tours à signaux ainsi qu’il en est fait mention dans une ordonnance du Roi d’Aragon qui prescrit un faro (ou brasier) la nuit, un fumi (ou fumée) de jour pour cent hommes d’armes entrant sur le territoire… le château qui sera le plus voisin du point de la frontière… fera et commencera à répéter les dits signaux… et tous les autres se les transmettront les uns aux autres. Ces dispositifs de type militaire peuvent se justifier si l’on considère l’incertitude des temps en Gascogne à cette époque, l’imprécision et la mouvance des frontières entre les différentes possessions, la fragilité enfin, que l’on pouvait craindre des garanties d’un traité avec l’Angleterre dont une éventuelle expansion pouvait être redoutée. »
Au-delà d’une ligne de front, on peut avancer l’idée qu’il s’agit véritablement d’un maillage - fort serré et même structuré – de châteaux et de tours qu’édifient les gascons durant les XIIIe et XIVe siècles (leur nombre dépasserait la centaine), s’adaptant à une situation « politique » atypique et s’inspirant au mieux d’une géographie et d’un territoire. On serait tenté de suggérer qu’ils « inventent » ainsi une forme de construction unique, ingénieuse autant qu’efficace, pour répondre au mieux à ces impératifs.
Les Châteaux Gascons ponctuent encore aujourd’hui les routes pittoresques de Gascogne. Ils invitent à la flânerie sur les chemins de traverse et à la découverte de points de vue imprenables.
A l’image des seigneurs gascons qui les ont fait bâtir, ils se dressent fiers et droits, tantôt sentinelle sur la crête d’une colline, tantôt château saillant de sa bourgade, ou encore vigie défensive au bord d’un cours d’eau.
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