L’Épée

L'épée

Définition

ÉPÉE s. f. (é-pé - du latin. spatha, large épée, ainsi nommée, suivant quelques étymologistes, par assimilation avec spatha, outil de tisserand, en grec spathê, probablement de spaô, j'étends ; comparez le latin spatium, allié au sanscrit sphay, accroître, augmenter, d'une racine primitive spâ, span ou pan, qui a eu d'abord le sens d'étendre et s'est ensuite appliquée, dans un grand nombre de dérivés aryens, aux opérations du tissage.


V. EMPAN. On trouve le celtique spad, bêche, irlandais et anglais spode, et spadaim, abattre, tuer, et d'après Diodore, spatha est le nom d'une longue épée des Gaulois; aussi d'autres ont-ils pensé que spatha, dans le sens d'épée, était celtique, et ne s'était trouvé que par hasard conforme avec le latin spatha, outil de tisserand. Bochart, dans son livre des colonies des Phéniciens, dérive le mot gaulois de l'hebreu sbat, au pluriel sbatim, bâton, en chaldéen sbatin ». Suivant lui, la série des sens serait bâton ferré, puis épée. Inutile de faire observer que c'est là de la pure fantaisie). Arme offensive, formée d'une lame d'acier quelquefois triangulaire, le plus souvent à deux tranchants, toujours pointue, emmanchée dans une poignée munie d'une garde.
Quand un homme est sur le pré, une médiocre habileté dans l'escrime l'expose plus à l’épée de son ennemi qu'elle ne l'en préserve.
(J-J. Rousseau)
On voit au Calvaire l'épée de Godefroy de Bouillon, qui, dans son vieux fourreau, semble encore garder le saint sépulcre. 
(Chateaubriand)
Ton premier coup d'épée égale tous les miens. 
(Corneille)

Par extension :

Etat militaire : 
Gens d'épée. Noblesse d'épée. Homme d'Épée. Cicéron, comme tous les hommes dont la parole est la principale force, sentait qu'il ne pouvait jouer de rôle important ni même être en sûreté qu'en s'associant aux hommes d'épée (Napoléon III) D'un homme d'Etat homme d'épée, qui s'exagère un danger ou qui l'exagère, il y a tout a craindre (E. de Gir.) A la fin j'ai quitté la robe pour l'épée (Corneille).
Homme de guerre, général : On appela au ministère de la guerre une illustre épée. 
Homme fort à l'escrime : Vous êtes un homme si vaillant et une si fine épée... (Alexandre Dumas)

Au figuré :
- Expéditions militaires, combats, attaques de gens armés : Un pays livré à l’épée de ses ennemis. L'épée détruit le travail de la charrue. L'épée de la conquête, en renouvelant la face de l'Europe et la distribution de ses habitants, a laissé sa vieille empreinte sur chaque nation, créée par le mélange de plusieurs races (Aug. Thierry) L'épée du guerrier, si elle n’est pas employée à protéger, doit être brisée maintenant. (Ballanche)
- Courage, valeur militaire, exploits guerriers : Ma noblesse date d'hier, et je la dois à mon épée (Scribe) 
- Secours armé : Ne savez-vous pas qu'entre Espagnols c'est offenser un ami que de ne pas recourir à lui quand on a besoin de sa bourse ou de son épée ? (Le Sage) 
- Moyen d'attaque : Il fut tantôt le bouclier, tantôt l'épée de son pays (Fléchi) Le droit est l'épée des grands, le devoir est le bouclier des petits (Lacordaire)
- Force, puissance : Celui qui tient l’épée est l'ennemi naturel de la liberté. L'épée donne un véritable droit. (Pascal) La société de Jésus est une épée dont la poignée est à Rome et la pointe partout. (Dupin)

Histoire de l'épée

Les soldats gaulois portaient leur épée suspendue à une chaîne de fer ou de cuivre, ou à un large baudrier, et Tite-Live nous apprend que les légionnaires ne leur devinrent supérieurs que lorsqu'on leur eut donné l'épée espagnole à lame courte, droite, large et plate. Les Francs conservèrent à cette arme la forme qu'elle avait chez les Gaulois. On lit dans les Gesta Francorum, chapitre. XLI, et dans les Gesta Dagoberti, chapitre. XV, que l'on enrôlait les jeunes hommes dès qu'ils avaient atteint la hauteur des spatha (ou épées). Dans les mêmes annales, on voit des rois francs faire décapiter tous les prisonniers dont la taille dépasse celle de leur épée. Les épées des plus célèbres héros du moyen âge reçurent des poètes un nom particulier : l'épée de Charlemagne s'appelait Joyeuse; celle d'Arthur, Scalibert; celle de Bradimart ; Flamberge ; de Renaud, Balisarde, Roland, Durandal ; d'Olivier, Haute-Clère ; d'Ogier, Courtin, etc.

L’épée à deux mains ou espadon était une arme large et longue que l'on faisait tourner avec une grande rapidité de manière à s'en couvrir en même temps qu'on menaçait son adversaire. Les longues et lourdes épées furent longtemps en usage. On dit que Godefroy de Bouillon fendait un homme en deux coups d'épée ; et la Jérusalem délivrée est remplie de faits analogues. Le P. Daniel ne voit là rien de bien étonnant si l'on songe à la force de ces hommes de cette époque et au poids des épées qu'ils maniaient, du reste, avec une grande habileté. On conserve à Meaux une épée regardée comme étant celle d’Ogier le Danois; elle est longue de plus de trois pieds, large de trois pouces et pèse cinq livres. Dans la suite, et même dès l'époque du déclin de la seconde race, quand les armes défensives présentèrent plus de résistance, on adopta des épées moins longues et tranchantes d’un seul côté.

(…) Les allemands portaient des épées telles qu'on n'en avait jamais vu auparavant : c'étaient armes longues, menues, grêles, tranchantes des deux côtés, depuis la pointe jusqu’à la poignée. La mode des épées courtes semble très ancienne en France, s'il est vrai qu’on les voyait ainsi peintes dans une fresque d’une église d'Angers, qui représentait une bataille en 845 et dont parle le P. Daniel. Au temps de Saint Louis, l'épée n'offrait pas de plus fortes dimensions. Celle d'un maréchal de France avait deux pieds de lame environ et un double tranchant. On lit dans une relation de la bataille de Bénévent, où Charles d'Anjou, frère de Louis IX, défie son compétiteur Mainfroy : « Les Allemands combattaient avec de longues épées, des haches et des massues, n'approchant leurs ennemis que de la longueur de leur épée; mais nos François les joignant d'aussi près que l'ongle est près de la chair, les perçaient avec leurs courtes épées ». Guillaume de Nangis, en décrivant la même bataille, se sert de termes presque identiques et parle aussi de petites épées pointues dont les Français frappaient les ennemis au défaut de la cuirasse. Cette arme ne s'allongea qu'à l'époque où l'armure de fer plein remplaça la cotte de mailles.

Aussi longtemps que l'état de troubles et guerre fut permanent en France, l'épée resta la première des armes offensives, comme le heaume la première des armes défensives. On la regarda, pendant la première période de la  chevalerie, comme la principale pièce de l’armement d'honneur; et même, lorsque chevaliers ès lois entrèrent en lutte avec les gentilshommes de race, elle servit à distinguer la noblesse féodale de la noblesse de robe. Les connétables, aux entrées des rois, portaient l'épée nue devant eux ; le grand écuyer la portait au fourreau ; enfin, à la cérémonie du sacre, elle était déposée sur l'autel où le prince venait la prendre, pour marquer qu’il régnait par la grâce de Dieu. Le gentilhomme seul la pouvait porter de tout temps. Les serfs n'étaient autorisés à en faire usage que pour défendre la terre de leur seigneur ; hors ce cas, leur épée devait rouiller dans le fourreau (…)

Au XIVe siècle, l'arme qui nous occupe portait divers noms : espadon ou estocade, flamart, braquemart.

A dater du règne de Louis XIII, on adopta l'épée d'escrime. Cette espèce a offert de grandes variétés de types il y eut alors des épées à pistolet, à coquille, à garde en croix, en panier, en grille, à miséricorde, à demi-croisette, etc. Il y en eut d'autres en spatule, flamboyantes, à l'espagnole, à la suisse, etc. C'est aussi au XVIIe siècle que la fureur de porter l'épée en tout temps, en tout lieu, commença à gagner les diverses classes de la société. Sous Louis XIV, les vagabonds, les laquais même, en étaient armés; aussi les assassinats se multipliaient-ils, dans les rues de Paris, d'une manière effrayante, et il fallut maint arrêt du parlement, mainte ordonnance royale pour arrêter ce désordre. En 1666, notamment, un édit défendit, sous peine de 200 livres d'amende, de porter des épées dans les rues, à moins qu'on ne fût gentilhomme, officier de la maison du roi, des troupes et compagnies d'ordonnance, soldat des gardes tant françaises que suisses, ou préposé pour l'exécution des ordres de justice Tout autre individu non compris dans ces exceptions devait, en entrant en ville, déposer son épée entre les mains de son hôte. Ces règlements furent assez mal observés. Les professions civiles continueront à s'arroger le port de l'épée, et cette confusion dura jusqu'en 1789. A cette dernière époque, le régiment des gardes françaises était le seul corps militaire qui l'eut conservée; elle n'était plus portée par l'infanterie de ligne depuis la guerre de 1756. De la mort de Louis XIV à 1815, les épées d'uniforme furent à lame évasée et très mince ; on les nommait carlets. Depuis, les carlets ont été remplacés par des épées plates. Le musée d'artillerie de Paris, le musée de Cluny possèdent plusieurs épées ayant appartenu à des personnages célèbres. Le flamard de Louis XI est remarquable par une singularité qui caractérise ce prince : sur les deux côtés se trouve gravé l'Ave Maria. L'épée que François Ier portait à la bataille de Pavie a une poignée en croix, émaillée avec des ornements en or, parmi lesquels on distingue des salamandres; sur la garde, on lit en lettres émaillées ce passage de l'Ecriture : Fecit potentiam in bracho suo; on conservait cette arme à Madrid, dans la chambre même où le roi avait été retenu prisonnier. En 1808, Murat, étant entré dans la capitale espagnole, fit transporter solennellement cette relique au palais occupé par l'état-major français, puis il l'envoya en France. L'épée dont était ceint Henri IV, le jour de son mariage avec Marie de Médicis, offre une lame richement damasquinée et chargée d'inscriptions relatives aux victoires du roi sur les ligueurs ; le fourreau est incrusté de médaillons de nacre, où sont gravés les douze signes du zodiaque.

L'épée est essentiellement une arme d'estoc, c'est-à-dire destinée à percer ; mais on lui donne quelquefois une forme qui permet de l'employer comme arme de taille.

Depuis la Révolution, surtout depuis une quarantaine d'années, elle n'est plus portée, du moins en France, que par certaines catégories de fonctionnaires civils en costume de cérémonie, et, à l'armée, par les officiers généraux et par les officiers et sous-officiers de quelques corps spéciaux; mais, pour les uns et pour les autres, elle ne constitue qu'une simple arme de parade.

Les différentes épées et les expressions associées

- Epée haute : Epée que l'on tient la pointe haute, pour être prêt à combattre : s'avancer l’épée haute.

- Epée à deux mains : Epée très longue et très forte dont on se servait au Moyen Âge, et dont la poignée se saisissait avec les deux mains.

- Epée à deux tranchants : Epée dont les deux côtés sont affilés, et qui peut servir d'estoc et de taille. 
Fig. Moyen de nuire qui peut être funeste à celui qui s'en sert : Tout complot est une ÉPÉE À DEUX TRANCHANTS . Toute ÉPÉE a DEUX TRANCHANTS ; qui blesse avec l'un se blesse à l'autre. (V. Hugo.)

- Epée de chevet : Courte épée que l'on plaçait autrefois sous son chevet, pour se défendre au besoin contre une attaque nocturne. - Personne ou chose que l'on emploie en toute circonstance, paroles que l'on répète toujours : Toujours parler d'argent voilà leur EPEE DE CHEVET. (Mol.)

- Epée d'Etat : Epée que l'on porte devant le souverain de la Grande-Bretagne, dans les cérémonies.

- Brave, vaillant comme son épée, se dit d'un homme de guerre extrêmement brave,

- Traîneur d'épée, bravache qui affecte de porter une épée en public.

- Chevalier de la petite épée, se disait autrefois pour Filou, chevalier d'industrie.

- Plat d'épée, partie plate d'une lame d'épée : C'est un outrage sanglant que de donner des coups de PLAT d’épée à  quelqu'un.

- Coup d'épée dans l'eau, effort sans résultat : N'essayez pas cela, ce serait donner un coup D'ÉPÉE DANS L'EAU.

- A la pointe de l'épée, par violence ou avec de grands efforts : Emporter une chose à la pointe de l’épée.

- Porter l'épée, avoir une épée suspendue au côté. Sous l'ancien régime, un grand nombre de corporations avaient le droit de porter l’épée.

- Etre officier : Je me voyais venir de la barbe au menton, et je mourais d'envie de PORTER L'ÉPÉE. (Le Sage)

- Porter l'épée en verrouil, la porter très bas et presque horizontalement.

- Tirer l'épée, mettre l'épée hors du fourreau, déclarer la guerre, se mettre en état d'hostilité : Les rapports diplomatiques entre les deux pays sont fort tendus ; il est présumable qu'on en viendra à tirer l’épée
Aussitôt que les épées sont tirées de leurs fourreaux, il est trop tard pour échanger des explications qui pourraient les y faire rentrer. 
(E. de Gir. )

- Remettre l'épée dans le fourreau, cesser les hostilités, mettre fin à la guerre.

- Rendre son épée, en parlant d'un officier, se reconnaître, se constituer prisonnier : Le tzar, après le repas, fit rendre les épées à tous les officiers. (Voltaire)

- Briser son épée, renoncer par dépit au service militaire.

- Passer au fil de l'épée, massacrer sans quartier : Toute la garnison fut passée au fil de l’épée.

- Poursuivre, presser quelqu'un l'épée dans les reins, le harceler, le serrer de près pour l'amener à faire ce que l'on veut, ou pour le convaincre par des raisonnements.

 - Mettre, faire passer quelque chose du côté de l'épée, faire de petits profits clandestins, soustraire quelque chose de ce que l'on doit.

- Mourir d'une belle, d'une vilaine épée, succomber avec gloire, d'une façon peu glorieuse : Il faut faire entrer les gens dans nos plaisirs et dans nos fantaisies ; sans cela il faut mourir, et c'est MOURIR D'UNE VILAINE ÉPÉE. (Mme de Sévigné)

- N'avoir que la cape et l'épée, se disait des gentilshommes pauvres, et notamment des cadets, qui étaient obligés de chercher fortune à la guerre.
Bien souvent la mâchoire est fort mal occupée
A qui n'a comme vous que la cape et l’épée. 
(Thomas Corneille)

- Roman de cape et d'épée, roman où l'on introduit des héros d'un courage et d'une générosité chevaleresques. 

- Avoir l'épée sur la gorge, être vivement pressé ou menacé. Mettre, tenir à quelqu'un l'épée ou le couteau sur la gorge, Le mettre dans une situation violente, qui l'oblige à céder ou l'expose à de graves conséquences.

- En être aux épées et aux couteaux, être en grave dissentiment.

- Coucher comme l'épée du roi, dans son fourreau, dormir tout habillé.

- N’avoir jamais vu d'épée nue que chez le fourbisseur. Ne s'être jamais battu. - 

- Se battre de l'épée qui est chez le fourbisseur, contester sur une chose que l'on n'a pas en sa puissance.

- Se faire blanc de son épée, se prévaloir de son crédit, de son courage, pour assurer le succès d'une affaire.

- Son épée est trop courte, il n'a pas assez de ressources, de crédit pour réussir.

- Son épée ne tient pas au fourreau, il a toujours envie de chercher querelle, de se battre.

 - Son épée est vierge, il ne s'est jamais battu.

- Il a fait un beau coup d'épée, il a fait une grosse sottise.

- L'épée use le fourreau, se dit d'un homme dont l'activité intellectuelle ou morale est telle qu'elle nuit à sa santé.

Proverbes

L'épée est la meilleure langue pour répondre à l'outrage, On ne se lave pas d'un outrage par des paroles, mais en se battant. C'est un proverbe arabe. La gourmandise tue plus de gens que l'épée, Les excès de table font périr plus de gens que la guerre. - Il vaut mieux être percé d'une épée bien luisante que d'une épée rouillée, Une chute glorieuse est préférable à un malheur déshonorant, - A vaillant homme courte épée, Le courage supplée aux moyens de défense ; l'habilité supplée aux ressources, - Quiconque se sert de l'épée périra par l'épée, Celui qui use de violence sera victime de la violence. Ce proverbe est emprunté à l'Evangile.

Extraits du Larousse du XIXe siècle